– Ça ne va pas ma petite Mimie ?
Tu es toute pâlichonne !
Et c'était vrai que les rayures d'ordinaire si joyeusement colorées de la petite chaussette paraissaient mornes et ternes, comme éteintes.
Mimie n'osait pas regarder le vieux bas de laine grise tout usé et ravaudé, mais si doux et si perspicace.
Elle était sûre qu'elle ne pouvait plus lui cacher ses sentiments.
Mais le vieux bas de mamie continua.
– Tu sais, moi aussi, lorsque je me suis retrouvée seul, coincé derrière la commode et que ma famille a déménagé en me laissant là, je me suis sentie perdue, mais une autre famille est arrivée et puis le teuz* de la maison m'a ramené plein de petites chaussettes orphelines comme toi et maintenant je les accueille et les rassure.
– Mais ma jumelle me manque tellement !
Mimie se lança enfin, déballant tout ce qu'elle avait sur le cœur :
– J'apprécie tout ce que tu fais pour nous, mais ici ma seule amie est la petite soquette en laine bouclette rouge. Je ne m'entends pas trop avec les chaussettes de sport. Elles sentent mauvais et veulent toujours me mettre en boule et se servir de moi comme 'un ballon. Ce n'est pas un jeu très drôle. Et puis je sens que ma jumelle s'ennuie autant que moi.
Devant une telle détresse, le vieux bas réfléchit et dit :
– Il y a bien un moyen de sortir d'ici et de retourner dans le monde des humains mais peu ont tenté l'aventure et personne n'en est revenu.
Mimie entrevit une lueur d'espoir dans sa solitude.
– Je veux essayer, grand-père !
– Très bien ma petite, alors écoute, en te faufilant derrière le tuyau de la machine à laver, tu peux te glisser à travers le joint du tambour, mais c'est étroit et dangereux car la machine peut se mettre en marche à tous moments. Là tu passes par la trappe de vidange. Une fois dehors il te faudra échapper au monstre poilu qui erre dans la maison. Je l'entends encore parfois. Te sens-tu prête pour une telle aventure ?
Mimie, à l'évocation de tous les obstacles qu'il lui faudrait franchir avait senti sa détermination faiblir, mais la pensée de sa jumelle aussi triste qu'elle balaya ses peurs.
– Oui, affirma-t-elle, montre-moi le chemin s'il te plaît.
– Alors, viens ! Suis-moi ! Tu es courageuse et tu nous manqueras.
– Toi aussi grand-père tu me manqueras et la petite soquette aussi.
Tous deux parcoururent le pays des chaussettes orphelines et arrivés au pied du mur où le tuyau de la machine à laver pendait, accroché à son robinet, le vieux bas serra la petite chaussette contre lui.
– Vas maintenant ! Et sois sûre que tu auras toujours ta place ici.
– Merci pour tout, répondit Mimie dans un sanglot.
Elle s'élança dans les entrailles noires de la machine sous le panneau d'acier. Elle mit un peu de temps à s'orienter puis à tâtons, pataugeant dans des flaques mi-gluantes, mi-feutrées de pilous agglutinés, elle sentit enfin la surface souple du joint.
Alors au prix de moult efforts et contorsions, elle parvint à passer de l'autre côté.
Pourquoi était-ce si dur dans ce sens alors que cela avait été si facile dans l'autre !
Elle se souvenait que lors de l'essorage, elle avait été éjectée du tambour et s'était retrouvée plaquée contre une paroi froide. C'est là que le teuz de la maison l'avait ramassée et emmenée au pays des chaussettes orphelines. Où était-il maintenant celui-là ? Elle aurait bien besoin de lui.
Ses réflexions l'avaient conduite jusqu'à la trappe de vidange. Un rai de lumière filtrait et dessinait un rectangle très net. Pousser la trappe fut moins difficile que prévu. La machine commençait à être vieille, elle avait déjà au moins un an et tout le monde sait que maintenant ces engins ne vivent pas très vieux.
Mimie se laissa tomber et se glissa sous la machine pour se reposer. Le voyage avait été épuisant.
Si mon histoire n'est pas finie, il est quand-même temps d'aller au lit.